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Dans la jeune oeuvre de Romain Boulay, les Peintures immatérielles, titre d’une série de tableaux entamée en 2004 et toujours en cours, constituent une charnière. Chaque tableau de cet ensemble est considéré comme un volume, dont tous les constituants - châssis en bois peint, toile translucide vierge, couleurs - sont objets de montages et d’articulations matérielles subtiles, mettant en balance perception optique d’un espace illusionniste et appréhension tactile d’une profondeur réelle. Le tout est soumis, au final (l’oeuvre achevée et exposée), à l’action de la lumière ambiante, laquelle, selon son intensité, révèle plus ou moins la couleur appliquée sur le châssis, sous le tissu translucide.

 

Romain Boulay opère ainsi un déplacement de l’appréhension bidimensionnelle et traditionnelle du tableau vers les trois dimensions, sur un mode distinct du minimalisme. Ce n’est en effet pas vers l’objet que tend sa pratique (même si des oeuvres comme A4 et Lignes de 2005 avouent leur dette envers l’approche objective à la Judd de la peinture), mais bien vers une compréhension et une exploration du tableau comme un volume et un lieu qu’habite le regard (les Peintures immatérielles) et, plus récemment, le corps des spectateurs (dans les sculptures-installations et les déploiements architecturaux de son travail).

 

Dans les tableaux, la toile translucide joue le rôle d’un écran que traverse le regard, appelé à mesurer à tâtons tout ce qui constitue la machine du visible (là où a lieu le travail pictural), au revers de ce qui d’ordinaire se présente comme une surface opaque. Quelque chose de l’ordre d’une contre-projection a lieu, du fait de l’action irradiante de la couleur depuis le verso. On peut songer, face à ces oeuvres, aux Light machines des années 1940 de Laszlo Moholy-Nagy, aux tableaux Hyperion des années 1970 de Christian Bonnefoi, ou encore aux tableaux-écrans mis en espaces depuis les années 1980 par Cécile Bart.

 

Des oeuvres intermédiaires, comme Jaune Cyan Rouge Orange Violet Vert Double (2005), constituée de sept châssis peints et démunis de toiles, ont annoncé un processus d’actualisation spatiale de la démarche de Romain Boulay. Ce processus a débouché sur une extension architecturale du travail, des rails de métal se substituant au châssis, des plaques de plâtres (Orange, 2008) ou des panneaux de mélaminé (aujourd’hui à la galerie Sébastien Ricou) à la toile translucide. Quant à la lumière, véhicule de la couleur et de la vision, elle peut désormais se manifester sous la simple forme d’ampoules suspendues (Zein und Seit, 2009), comme ce sera le cas à la galerie Sébastien Ricou dans l’installation de trois panneaux de mélaminé blancs suspendus. Elle peut aussi demeurer cachée mais présente par son reflet, dans une pièce d’angle en mélaminé, disposée dans l’espace de la galerie telle une cimaise.

 

Un tableau de la série des Peintures immatérielles, trois panneaux de mélaminé suspendus, disposés légèrement en diagonale par rapport au principal mur de l’espace d’exposition et accompagnés chacun, à leur revers, d’une ampoule elle aussi suspendue, une pièce angulaire de taille humaine dont la tranche ouverte irradie de lumière : ces trois oeuvres qu’a conçues Romain Boulay pour son exposition à la galerie Sébastien Ricou offrent une vision précise du déploiement de son travail, lequel engage à une méditation sur les conditions de production, d’apparition et de perception du visible, dans une lignée phénoménologique que soulignent ses références, dans les titres de ses oeuvres, à Heidegger et plus encore à Merleau-Ponty (Le Visible et l’invisible est le titre d’une de ses oeuvres les plus remarquables, réalisée pour Le Hub Studio à Nantes en 2009). Dans un contexte plus général, cette démarche prend place auprès des formes les plus sophistiquées de réflexion sur les lieux de la peinture, menées notamment aujourd’hui par des artistes tels Gerwald Rockenschaub, Miquel Mont ou Peter Vermeersch, où la peinture s’effrange avec d’autres médiums et dimensions (sculpture, architecture, installation) au bénéfice d’une augmentation de l’expérience sensible.

 

Tristan Trémeau

tristantremeau.blogspot.fr

 

Tristan Trémeau vit et travaille à Bruxelles, Paris et Quimper où il enseigne l’histoire et la théorie des arts (Académie royale des beaux-arts, Université Paris 1-Sorbonne, Ecole supérieure d’art). Critique d’art (L’art même, Art 21, ETC), il est également commissaire d’exposition indépendant et prépare un livre sur les économies artistiques.


 

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